10/10/2009
Armand Dupuy
9'32 Pollock

Oublions. De toute façon, mon
père ne connaît pas Pollock. C'est dire
s'il lui ressemble

À East Hampton, le
ciel ne bouge pas. Simplement, le matin
recommence. On pourrait trouver l'heure
mais non. C'est juste qu'il ne fait pas
d'ombre ce matin. Pollock ne jette pas
d'ombre sur le sol aujourd'hui. Pollock
ne prend pas la lumière. De là à dire que
Pollock n'existe pas, il n'y a qu'un pas. Il
n'y a rien.
Pollock est novembre. Pollock
s'est levé d'abord ou peut-être qu'il n’a
pas. Pollock n’a pas dormi sans doute.
Pollock jette sa clope. Et Pollock ce matin
me dit merde. Sale nuit, sale tête. Les
yeux cramés, la chemise noire. Pollock
ne fait plus l'effort. Il crache le mégot qui
s'éteint sur sa lèvre. Pollock me crache à
la gueule ce matin, Pollock me dit merde
de sa langue bien mâchée. Il faudra faire
sans Pollock certains jours.

Pollock, c'est ma façon
d'ignorer.

Pollock n'est pas là pour qui l'attend.
On se trompe en venant voir Pollock car
Pollock n'aime pas la visite. Pollock se
sent seul mais n'aime pas ses amis. Il
ne s'aime pas, pas plus qu'il ne m'aime.
Pollock ne me connaît pas mais ce
Pollock-là du fond de ma tête me scrute.
Il ressemble à s'y méprendre aux arbres
nus sur le ciel de Springs. Je n'irai pas
voir Pollock ni là.

Et Beckett
lance c'est tuant les souvenirs, mais
Pollock c'est pire. Pollock est vide. C'est
la falaise dans son dos, Pollock le sent.

Pollock n'a pas d'enfants, tant mieux.
S'il avait des enfants, Pollock leur dirait
sales porcs de sa langue très sale, leur
collerait trois beignes, au lit ! Pollock
aimerait ses enfants, mais ne saurait pas
car Pollock en a peur. Pollock a peur que
les enfants ne sachent pas dormir. C'est
ce que pense Pollock en s'endormant.
Pollock ne peut pas dormir s'il ne tombe
pas.

Alors peindre ne le concerne
pas. Il verse le mur, c'est pas si mal. Il
peindrait le ciel qu'on s'y ferait prendre.
Mais Pollock n’invente pas donc le sens
ne vient pas.

Pollock ne compte plus. D'ailleurs on n'a
pas d'oiseaux dans le ciel de Springs,
pas d'oiseaux sous le ciel blanc de
Pollock. L'espace pictural est un mur,
bien sûr, mais pas.

Pollock va sa sève
lente ou furieuse qui le va. Il sent quand
même ce passé véloce qui l'attrape.

Pollock tète sa clope face aux collines
foncées. Pollock est debout. Il raconte
un tas de choses dans sa langue qu'on
ne comprend pas. Puis Pollock se tait,
passe en crabe. Quand Pollock se tait ou
bien qu'il ne fume pas, Pollock mâche
l'intérieur de ses joues. C'est-à-dire que
Pollock se mange à petit feu debout.

© 1999 Estate of Hans Namuth, © Armand Dupuy, extrait carnet de note, © 1999 Estate of Hans Namuth., © Jackson Pollock - Black and White Number 20 - New York - Los Angeles County Museum of Art, © ARS, NY and DACS, London 2004, Film still, © Jackson Pollock and Lee Krasner papers, circa 1905-1984. Archives of American Art., © Untitled Jackson Pollock (American, 1912-1956), © Jackson Pollock ( 1912 - 1956 ) Photo M. A. Vaccaro, New York, © ARS, NY and DACS, London 2004, © Jackson Pollock and Lee Krasner papers. Archives of American Art, Smithsonian Institute, © Armand Dupuy, extrait carnet de note, Untitled from an untitled portfolio Jackson Pollock (American, 1912-1956),
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